RETRO TIM BURTON

Quand TIM BURTON est passé à Paris pour présenter "L'Etrange Noël de Monsieur Jack" , il a un fait un détour un soir par la Cinémathèque pour rencontrer son public. Rendez-vous compte : l'illustre Cinémathèque Française organisait un festival en son honneur ! Et de son vivant! Tim Burton est alors apparu comme un grand garçon ébouriffé et timide, un peu dépassé par les événements. Un garçon candide qui se demandait surtout pourquoi tant de personnes l'acclamaient debout, comme s'il était un génie. Le cinéaste, à la fois concentré et ailleurs, sérieux et plein d'humour, a répondu aux questions. Puis, il s'en est allé. Il est retourné sur sa planète. Une planète de cartoons où se mélangent cruauté et tendresse, innocence et noirceur, féerie et horreur. Nul doute que l'homme débarque d'un autre monde. Ses films sont à son image. Aujourd'hui, l'extra-terrestre revient nous rendre visite avec "ED WOOD". Le film sera à Cannes. Et c'est l'occasion rêvée ( ou cauchemardée ) pour entrer dans l'univers de Tim Burton. Flash-back.

Le petit Tim naît à Burbank en Californie, en 1959. Dès l'enfance, il se passionne pour la bande-dessinée et les films d'horreur. Son héros, son acteur fétiche, c'est Vincent Price qui exerce sur lui une fascination totale. Grâce à une bourse Disney, Tim Burton peut étudier au California Institute of the Arts. Et c'est naturellement qu'il devient animateur au Studio Disney. Il travaille notamment sur "Rox et Rouky" et "Taram et le Chaudron magique". C'est encore Disney qui lui permet de réaliser en 1982 son premier court-métrage d'animation ( c'est à dire avec des personnages conçus comme des marionnettes et animés image par image ), "Vincent". Cette petite merveille raconte l'histoire d'un petit garçon qui, pour fuir sa réalité quotidienne, s'identifie à... Vincent Price. Tiens donc ! Justement, le jeune réalisateur demande à son idole de faire la voix narrative du court-métrage. Price accepte. Le rêve d'enfant devient réalité. Tim Burton n'arrive pas à le croire. Sa rencontre avec l'acteur reste un souvenir indélébile :"Il a été formidable. Le film représentait beaucoup pour moi. J'ai grandi en voyant à l'écran cet homme tourmenté (...). Il m'est apparu, quand je l'ai vu, comme quelqu'un d'incroyable, passionné par beaucoup de choses (...). Il n'y en a pas tant que ça aux Etats-Unis, des gens intéressés non seulement par ce qu'ils font, mais aussi par l'art en général, tous les aspects, tous les genres... Il était juste intéressé par la vie. Il m'a été d'une grande inspiration et il en sera toujours ainsi." Le court-métrage est jugé trop noir par les responsables du studio. Sa carrière se limite donc au début à quelques festivals dans lesquels il rafle plusieurs prix. Persévérant, Tim Burton réalise en 1984 un autre court. Dans "Frankenwinnie", un hommage à Frankenstein, un petit garçon ressuscite son chien écrasé. Déjà le style Burton éclate dans ces deux premiers essais. Ambiance macabre, humour noir, décors gothiques à l'architecture revisitée, images soignées, cadres travaillés, techniques irréprochables... Mais c'est évidemment à des années-lumières de l'univers Disney et peu apprécié. Tim Burton commence alors à en avoir marre de dessiner des "mignons petits renards". Il quitte donc Disney et tourne "Aladdin" un épisode du programme télévisé "Faerie Tale Theatre" de Shelley Duvall.

En 1985, son premier long-métrage voit le jour. "Pee-Wee's Big Adventure" narre les mésaventures de Pee-Wee à la recherche de sa bicyclette volée. Ce film délirant et décalé marque l'association de Burton avec Paul Reubens alias "Pee-Wee", une célèbre star comique de la télévision américaine. Un personnage curieux, ce Pee-Wee. Une sorte de simplet, d'adulte-enfant attardé, qui vit dans son propre petit monde, entouré de jouets. Cet univers étrange et indescriptible, associé à celui du cinéaste en herbe, donne un film pour le moins bizarre, un peu extra-terrestre, kitsch et inventif, où l'influence de la bande-dessinée et des cartoons est manifeste. Et les thèmes évoqués annoncent la couleur pour tous les films à venir. Pee-Wee est candide, naïf, mais aussi inquiétant et ambigu. Car comme le dit Tim Burton, "chaque être possède deux visages et il serait vain de tenter de séparer ce qu'il y a en lui de bon et de mauvais". Et il en sera ainsi pour toute l'oeuvre du cinéaste. Ses personnages auront donc deux facettes, comme d'ailleurs les différents mondes décrits dans ses films. Ce sont des mondes dans lesquels l'innocence, l'amour et le rêve se trouvent confrontés à la cruauté, à la violence et à la haine. Mais sans que la limite entre les gentils et les méchants ne soit clairement établie. Le réalisateur donne aussi libre cours à sa passion - jamais désavouée par la suite - pour les décors qui deviennent des parties intégrantes de l'histoire.

En 1988, Burton signe l'original "BEETLEJUICE", avec Michael Keaton, Winona Ryder, Alec Baldwin et Geena Davis. Grand succès aux Etats-Unis et un oscar à la clé pour les maquillages. Dans le film, un jeune couple décédé doit cohabiter avec la nouvelle famille qui vient d'emménager dans leur maison. Les voilà obligés de jouer les fantômes pour essayer de déloger ces intrus plutôt horripilants et bien vivants. Ajoutez à l'histoire un "bioexorciseur" farceur et déjanté, spécialisé dans l'aide aux morts qui veulent chasser les vivants, et vous obtenez une sorte de délire à la Tex Avery - version horrifique - digne des meilleurs cartoons du genre. Humour macabre et débridé, trouvailles visuelles surréalistes et décors hallucinants, le réalisateur fait en plus preuve d'une imagination sans limites. La Burton "touch" est née. Avec ce succès, l'auteur devient une valeur sûre pour Hollywood.

Un an plus tard, il se retrouve donc au commande d'un gigantesque projet, "BATMAN". Un film de commande ? Pas vraiment. Plutôt un rêve d'enfant : "j'ai principalement fait Batman parce que je voulais le faire. J'ai grandi en adorant le personnage(...) C'est dur pour les gens de comprendre que l'on puisse aimer quelqu'un qui s'habille habituellement comme une chauve-souris. ça paraît stupide mais c'était mon cas." Tim Burton se bat alors avec les studios et avec les fans du justicier pour imposer sa vision du personnage. Une vision névrotique et noire. Le héros du film est présenté comme un homme partagé entre ses deux personnalités. Il est à l'opposé d'un Superman tout en muscle, niais et manichéen. Pourtant la véritable vedette du film, c'est tout de même le Joker, interprété par Jack Nicholson. Il est clair que ce vilain bonhomme inspire plus le réalisateur. Malheureusement, les producteurs ont freiné l'inventivité de Tim Burton et le film s'en ressent. Reste une ambiance et la reconstitution de Gotham City. La ville est sombre, cruelle et dangereuse. Un personnage à part entière. "Batman" est le premier film adulte de super-héros, et même s'il est un peu raté, c'est déjà beaucoup. Heureusement, le réalisateur persiste.

En 1992, pour "BATMAN, LE DEFI", il demande à avoir le contrôle total de son oeuvre et l'obtient. Du coup, ce deuxième volet est réussi. L'enthousiasme visible dans "Beetlejuice" est de retour. Le film fourmille d'idées folles et d'allusions sexuelles osées (presque sado-maso ). Burton filme la ville de Gotham sous la neige et en plein chaos. Ses personnages sont plus fouillés et plus diversifiés. Le Pingouin, joué par Danny De Vito, est encore plus réjouissant que le Joker. Méchant certes, mais parfois touchant. Catwoman, campée par Michelle Pfeiffer, est quant à elle vue comme un être déchiré. Christopher Walken est toujours des plus fascinants. Mine de rien, Tim Burton nous décrit des êtres rejetés par une société inhumaine et transformés en marginaux solitaires et destructeurs. Ils souffrent et donc font souffrir.

Entre temps, le cinéaste a réalisé "EDWARD AUX MAINS D'ARGENT". Tourné en 1990, ce film aussi aborde le problème de l'intolérance et c'est sans doute l'illustration parfaite de l'univers de Tim Burton. C'est aussi son plus beau film, un conte cruel, plus pour adulte que pour enfant. Un inventeur meurt sans avoir pu terminer le garçon qu'il a créé de toutes pièces. Le pauvre petit orphelin reste donc avec des ciseaux à la place des mains. Il est recueilli par une famille américaine et bientôt devient célèbre dans la petite ville, grâce à ses talents artistiques de coiffeur et de sculpteur de haies. Sa différence est bien acceptée. C'est une sorte de curiosité locale à la mode que chacun ne manque pas d'exploiter à son avantage. Jusqu'au jour où la bêtise et la méchanceté des gens de la ville le transforment en bouc émissaire. Innocent et pur, incapable de se défendre, il est le coupable idéal. Du jour au lendemain, il est traité comme un monstre, pourchassé et renvoyé dans sa solitude d'artiste. Le réalisateur en profite pour dresser le portrait d'une certaine société américaine, une société d'hypocrites, de beaufs et d'irresponsables. Il a fait de ce film une fable dramatique, belle, émouvante, drôle et sensible. La scène dans laquelle Edward façonne et sculpte la neige pour réaliser une statue de glace est tout simplement inoubliable, une merveille de poésie, témoin s'il en faut de cette invention visuelle constante dans l'oeuvre du réalisateur.

En 1993, Tim Burton est retourné chez Disney pour produire "L'Etrange Noël de Monsieur Jack" . La firme, depuis le changement des responsables, s'intéresse grandement à son talent (surtout depuis qu'il a du succès ! ) et lui a donc permis de revenir aux films d'animation qui lui tiennent tant à coeur : "j'ai toujours adoré ce genre d'animation. Depuis King-Kong, et même avant ça, ce genre de procédé - la stop-motion - a eu un véritable impact, et Vincent Price qui a inspiré "Vincent" a aussi été une source d'inspiration pour "L'Etrange Noël de Monsieur Jack", pour le personnage de Jack, son élégance, sa manière de bouger." La boucle est bouclée. Burton n'a pas réalisé le film, mais il en est l'auteur et le concepteur. Tout son univers est donc bel et bien présent dans cette comédie musicale peu banale qui se passe principalement dans la ville imaginaire d'Halloween. Une ville peuplée de monstres hilares. Les farces macabres sont à l'honneur, surtout lors de la grande fête organisée par Jack, le roi des Citrouilles, qui ne rêve que de nouvelles expériences. Aussi, lorsqu'il découvre la ville de Noël et son ambiance conviviale, Jack décide d'enlever le Père Noël et de prendre sa place. La fête de Noël va donc se transformer en véritable cauchemar pour tous les enfants qui trouvent au pied des sapins des jouets diaboliques ou autres têtes coupées du plus mauvais goût. Tim Burton révolutionne le conte de Noël, avec l'antithèse du film mièvre pour enfant ( style Disney, justement ). Les côtés naïfs et touchants du film sont gommés par des scènes cauchemardesques plutôt jouissives. Là encore, il ne faut pas se fier aux apparences. Jack n'est pas vraiment méchant. Il veut bien faire mais ses attentes sont mal interprétées. Il a, lui aussi, ces deux facettes chères au réalisateur. Evidemment, il faut signaler la parfaite réussite technique de l'ensemble : les mouvements des marionnettes sont d'une fluidité incroyable et les hallucinants décors miniatures sont toujours dans le style de l'auteur, incroyablement présent.

Depuis Tim Burton a tourné un document-hommage à Vincent Price, "Conversations with Vincent". Le cinéaste est décidément fidèle dans ses amitiés. Tout au long de sa carrière, il s'est d'ailleurs constitué une petite famille ( cf encadré ). Preuve que, même s'il porte un regard critique sur le monde qui l'entoure, il peut encore garder une certaine confiance en l'être humain. Tim Burton en l'espace de quelques films a donc réinventé tout un univers. Un univers fantastique qui, quand on y regarde de plus près, ressemble curieusement à une vision déformée du nôtre. Un univers avec son lot de cynisme et de méchancetés, mais aussi son lot d'amour et de poésie, d'humour et de folie. Un monde plein de contradictions, en fait. A sa manière, le réalisateur nous rappelle finalement que l'homme est à jamais le plus grand des paradoxes.

Avec "Ed Wood", sur les écrans le 21 juin, voilà encore une nouvelle occasion de le vérifier. L'annonce du projet avait de quoi surprendre : Tim Burton s'attaquait à une biographie. Allait-il changer de style et abandonner cet univers si étrange qui le caractérise ? Car, par définition, une biographie est quand même avant tout en prise avec la réalité d'une personne existante et demande a priori un certain réalisme. Au bout du compte, il ne s'agit pas d'une biographie. Plutôt d'un portrait. Le portrait de l'homme considéré comme le "plus mauvais réalisateur de tous les temps", Edward Davis Wood Junior. Ce curieux personnage issue des années 50 tourne en 4 ou 5 jours, pour une somme dérisoire, des petits films fantastiques mal fichus et délirants, avec des décors et des effets spéciaux au-delà de la ringardise. Détesté par les critiques, rejeté par les studios, Ed Wood travaille en indépendant, se débrouillant tant bien que mal pour réunir le peu d'argent qu'il lui faut pour produire ses oeuvres. Il adore par ailleurs les pulls en angora et aime s'habiller en femme pour "se sentir plus proche d'elle". En résumé, c'est un sacré bonhomme, bourré de contradictions, culotté et déterminé. Son charisme est tel qu'il arrive à entraîner dans l'aventure de ses tournages une bande de personnages tous aussi étranges. Ed est campé par Johnny Depp qui lui apporte sa candeur, son innocence et son incroyable vitalité. Autour de lui gravitent un pseudo-devin, un ex lutteur , un riche excentrique gay ( étonnant Bill Muray ) et l'acteur Bela Lugosi ( magnifiquement interprété par Martin Landau, justement récompensé par un oscar pour le rôle ). Ce dernier, en pleine déchéance, est solitaire, sans le sou et drogué jusqu'aux yeux. Une amitié sincère unit les deux hommes. Ed Wood en profite pour vendre ses productions sur le nom de la star qui accepte de jouer pour une misère. Dans le film, Tim Burton s'intéresse à la période la plus révélatrice de la vie du réalisateur, de sa rencontre avec Bela Lugosi au tournage de "Plan 9 From Outer Space" , en passant par "Glen or Glenda" et "Bride of the Monster". En portant à l'écran "Ed Wood", il a pris le risque de déconcerter une partie de son public de base. Son dernier film est en effet différent de ses précédents. Mais si ce film est effectivement un tournant dans la carrière du réalisateur, il n'en demeure pas moins que l'oeuvre rejoint l'univers de Tim Burton. Car même avec cette histoire basée sur des faits réels, le cinéaste trouve le moyen de plonger à nouveau dans une ambiance fantastique, baroque et incongru, à travers la reconstitution des tournages des films d'Ed Wood et quelques scènes avec Bela Lugosi. Il y ajoute ses obsessions personnelles et s'identifie pratiquement au personnage. D'une part parce que sa relation avec Vincent Price est assez proche de ce qui est arrivé à Ed Wood avec Bela Lugosi . Et d'autre part parce qu'il se sent des affinités avec la mentalité de Wood. Ce qui a fasciné Tim Burton dans le personnage, c'est cette passion qui l'anime. Elle irradie de lui. Cette foi qu'il a en son art est capable de déplacer des montagnes. C'est le centre du film. On peut d'ailleurs regretter que le scénario ne nous fasse pas plus découvrir ce qu'est la vie d'Ed Wood en dehors de sa vie professionnelle. Mais c'est sans doute un choix, car l'homme ne vit que pour le cinéma. Il a un besoin maladif de tourner. Il pense constamment à ses films. Il y consacre toute son énergie et garde un optimisme aveugle et forcené quoiqu'il advienne. Du coup, Tim Burton transforme son film en hymne d'amour au cinéma. Il ne dit pas que son héros est un génie maudit. Il ne le ridiculise pas non plus. Il a simplement le culot d'affirmer qu'entre Orson Welles et Ed Wood il y a au moins un point en commun. Ils vivent tous les deux dans la passion fièvreuse de leur art. Finalement ils ont le même but et les mêmes rêves. Ed Wood était peut-être le plus nul des réalisateurs, mais il sacrifiait tout au cinéma. Il y mettait tout son coeur. Il se fichait de l'argent. Filmer était une question de survie pour lui. Même à la fin de sa vie, dans la pauvreté et au milieu des brumes de l'alcool, il continuait à avoir des projets. Oui, les films d'Ed Wood était pitoyable. Mais qu'importe, l'homme, lui, méritait au moins qu'on le respecte. Grâce à Tim Burton, à son humour décalé et à cette tendresse qu'il a toujours pour ses personnages, le message est passé.

La grande famille de Tim Burton

Vincent Price : voix narrative de "Vincent", interprète de l'inventeur dans "Edward aux Mains d'Argent" et sujet principal d'un document.
Paul Reubens : Pee-Wee; père du Pingouin dans "Batman, Le Défi" ; plusieurs voix de personnages dans "L'Etrange Noël de Monsieur Jack".
Wynona Ryder : adolescente fascinée par la mort dans "Beetlejuice"; amoureuse d'Edward dans "Edward aux Mains d'Argent".
Johnny Depp : le garçon aux ciseaux d' "Edward aux Mains d'Argent", Ed dans "Ed Wood".
Michael Keaton : bioexorciseur dans "Beetlejuice", Batman dans les deux premiers films.
Jeffrey Jones : père de l'adolescente dans "Beetlejuice", devin farfelu dans "Ed Wood".
Danny Elfman : compositeur des superbes musiques de tous ses films, sauf "Ed Wood" ; voix chantée du personnage de Jack et autres voix dans "L'Etrange Noël de Monsieur Jack".
Denise Di Novi : productrice attitrée de Tim Burton.

Tim Burton a contribué à révéler le talent de Danny Elfman, Wynona Ryder, Michael Keaton, Alec Baldwin et de Johnny Depp qui a pu enfin se débarrasser de son image de jeune rebelle moderne.

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