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RETRO JOHN CARPENTER

Six mois seulement après L'ANTRE DE LA FOLIE, le maître du fantastique et de l'horreur revient avec « Le Village des Damnés » et nous entraîne à nouveau dans un monde de cauchemar. II est donc temps de redécouvrir l'oeuvre de ce véritable auteur qui a donné au fantastique de série B ses lettres de noblesse. Allez, laissez-vous guider à travers l'univers inquiétant de John Carpenter. Et vous verrez, du vide intersidéral de Darkstar au petit village terrestre de son dernier opus, vous ne regretterez pas le voyage...

Dès huit ans, John Carpenter (né en 1948) commence à filmer avec la caméra de son père des explosions, des coups de revolver, et même un peu d'animation image par image, procédé bien utile pour animer les créatures monstrueuses dont il peuple ses films. En effet, l'enfant se met rapidement à raconter des histoires. Et dans ses courts-métrages, des extra-terrestres géants envahissent la Terre, son héros se bat contre Godzilla, et le western ou le péplum flirte allègrement avec le fantastique. Puis, devenu étudiant de cinéma, il s'impose comme l'un des plus brillants élèves de sa promotion. A 22 ans, il reçoit un oscar pour son court-métrage d'école, The Resurrection of Bronco Billy, qu'il a écrit, monté et co-réalisé. II en a même composé la musique. Ce film raconte l'histoire d'un jeune homme qui, pour fuir la réalité, se réfugie dans un monde de western. En 1975, le public découvre son premier film, un ovni cinématographique qui oscille constamment entre hommage et parodie. Darkstar , à l'origine, ne devait être qu'un moyen-métrage de fin d'études, tourné avec les moyens du bord, sur un scénario d'un ami de fac de John Carpenter, Dan 0'Bannon (futur scénariste d'Alien et réalisateur du Retour des Morts-Vivants !). Grâce à un producteur et à un distributeur enthousiasmés par le projet, le film devient un long-métrage et connaît une exploitation commerciale en salles. Mais l'aventure délirante de ce vaisseau spatiale délabré qui erre dans l'espace, avec à son bord une équipe de zinzins, déconcerte. Le film est un échec. II révèle cependant le talent de son réalisateur qui a dû déployer des trésors d'ingéniosité dans sa mise en scène pour exploiter au mieux un budget ridicule (60 000 $). Et John Carpenter retiendra tellement bien les leçons de cette première expérience qu'il deviendra l'un des nouveaux maîtres des séries B, ces films à petits budgets qui remplacent le manque de moyens par une inventivité salutaire (en tout cas quand le réalisateur a du talent!) .

Après Darkstar (qui atteindra plus tard le statut envié de film "culte"), le cinéaste se lance dans un western contemporain électrisant, Assaut (1976). Encore un petit budget, pour un film nerveux et violent dans lequel une bande de voyous assiège un commissariat toute une nuit. Avec un sens aigu du cadrage et du rythme, Carpenter installe progressivement une ambiance angoissante, joue avec toutes les possibilités de son décor et fait monter la tension jusqu'à son paroxysme. Pour ce film, il est une fois de plus réalisateur, musicien, scénariste et monteur. L'une des caractéristiques du cinéaste est justement cette polyvalence qui lui assure un plus grand contrôle artistique sur ses films. Ainsi, il est responsable de leurs conceptions pratiquement de A à Z, ce qui confère à ses films un style unique et une cohérence complète entre la forme et le fond.

Son film suivant, La Nuit des Masques (Halloween) en 1978, fait date dans l'histoire du cinéma fantastique-horrifique. Carpenter l'a conçu à la base pour qu'il provoque les mêmes émotions qu'une attraction foraine de maison hantée. Un tueur s'échappe d'un asile, la nuit d'Halloween et sème les cadavres sur sa route. Seul le docteur Loomis
peut l'arrêter. Loomis est joué par Donald Pleasance, le spécialiste des seconds rôles de séries B et un futur habitué de l'univers de John Carpenter. A ses côtés, on découvre une débutante, Jamie Lee Curtis. Musique lancinante et répétitive, séquences en caméra subjective qui font prendre au spectateur le point de vue du tueur ou de l'héroïne, symboliques sexuelles et références multiples au cinéma d'épouvante, font de ce film un suspense terrifiant pour l'époque avec plusieurs niveaux de lecture. Le film connaît un immense succès quand il ressort (la première sortie avait été un désastre) lors de la fameuse fête dont il est question. Du coup, La Nuit des Masques lance la mode du "psycho-killer" et engendre tout un lot de films dans lesquels des meurtriers fous massacrent des innocents à tour de bras (comme la série des "Vendredi 13" ou plus récemment des "Freddy"...). Bien sûr, Halloween a vieilli et, à côté des copies qui vont toujours plus loin dans l'hémoglobine, il peut paraître un peu pâle. II n'en reste pas moins un film de référence du genre pour tous les cinéphiles et sera d'ailleurs suivi par quatre autres volets. Avec ce succès, John Carpenter devient un réalisateur très sollicité .

Deux ans plus tard, il tourne FOG, dans lequel des fantômes de marins reviennent demander réparation auprès des descendants de leurs assassins. Ils se servent du brouillard pour pénétrer dans la ville et commettre leurs forfaits. En 1981, le cinéaste retrouve Donald Pleasance et ajoute à sa liste d'acteurs fétiches un autre inconnu, Kurt Russel (découvert dans Le Roman d'Elvis, la biographie qu'a réalisée Carpenter pour la TV). Si Russel tient maintenant la vedette dans des mégas -productions style Stargate, il le doit sans nul doute au réalisateur qui l'a imposé comme un nouveau modèle de héros. Dans NEW-YORK 1997, il joue un hors-la-loi qu'on pourrait croire tout droit sorti d'un western. Cet "outlaw" est largué dans la jungle urbaine de la presqu'île de Manhattan - devenue une Prison de haute sécurité, ceinturée de murs infranchissables - pour récupérer le Président qui a eu la mauvaise idée de s'y écraser avec son avion. Le film est un énorme succès. II servira de modèle à toute une génération de films d'aventures futuristes (ratés). Actuellement Carpenter prépare une suite, Escape from L.A..

Si Fog et
et New-York 1997 font un peu daté, il faut reconnaître que les univers angoissants décrits par le réalisateur à l'époque étaient des plus modernes et imaginatifs. The Thing, qui suit en 1982, toujours avec Kurt Russel, reste par contre indémodable. C'est la relecture d'une nouvelle déjà transposée à l'écran en 1951 ( "La Chose d'un Autre Monde" de C.Nyby, produit par H.Hawks). L'équipe d'une station polaire est confrontée à une créature extra-terrestre qui peut prendre à volonté l'apparence qu'elle désire. Le film de John Carpenter est un petit bijou parfaitement maîtrisé, plus fidèle à la nouvelle de John Campbell Jr que ne l'était la précédente version. Les scènes dans lesquelles se manifestent les différentes formes de la créature sont hallucinantes. Et la pression monte en même temps que la paranoïa des protagonistes qui se rendent compte que le monstre peut être l'un d'entre eux. Avec habileté et précision, Carpenter met les nerfs du spectateur à rude épreuve et dissèque l'âme humaine. Treize ans après, le film n'a rien perdu de sa force. Une intensité dramatique riche en surprises, des effets spéciaux étonnants et la singularité de cette description d'un monde apocalyptique fait de glace, de suspicion et de doute , donnent au film une profondeur et une force rarement égalées. The Thing est la symbiose de tout ce qui fait le talent du réalisateur qui innove sans cesse (même s'il s'agit à la base d'un remake) et a même l'audace de laisser aux spectateurs le soin d'imaginer la fin du film.

Pourtant le succès n'est pas vraiment au rendez-vous. Et le réalisateur enchaîne avec un projet moins ambitieux. Même si John Carpenter avoue préférer Lovecraft, il était normal que l'un des maîtres du fantastique -horrifique rencontre l'écrivain qui a le plus marqué ce genre dernièrement : Stephen King. En 1983, il adapte donc CHRISTINE en simplifiant l'intrigue pour se concentrer sur la ligne directrice. Un adolescent mal dans sa peau tombe amoureux d'une bagnole cabossée qu'il décide de retaper. Mais cette voiture est possédée et son esprit démoniaque et vengeur commence à influencer le comportement du jeune homme. La ferraille et la chair s'affrontent dans une mécanique huilée à la perfection, calibrée pour le succès et, du coup, moins personnelle.

Avec STARMAN (1984), le cinéaste se lance alors dans une super-production produite par Michael Douglas. Un extra-terrestre échoué sur Terre prend l'apparence du mari décédé de Jenny. Contrainte et forcée, elle l'accompagne à travers tout le pays jusqu'à l'endroit où doit atterrir un vaisseau de récupération. Déjà génial, Jeff Bridges (encore peu connu) interprète cet E.T. maladroit qui gagne peu à peu la confiance et l'amour de Jenny. Et surprise, ce film est un road-movie romantique, plein de sensibilité, d'humour, et de tendresse. Une nouvelle facette du réalisateur à laquelle personne ne s'attendait. Le public, surpris, réserve au film un accueil mitigé. Une série, médiocre, poursuivra cependant l'aventure à la télé.

Pas découragé pour autant, Carpenter enchaîne en 1986 avec une autre grosse production, Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin (En vo : Big Trouble in Little China !). Le film mélange allègrement magie noire, malédictions chinoises, samouraïs, monstres globuleux et arts martiaux. Un camionneur un peu balourd se trouve entraîné dans une folle histoire d'enlèvement au cœur de Chinatown. Le voilà en pleine guerre de Triades, à lutter sous terre contre des démons millénaires. Les spectateurs ont été décontenancés par ce film-hommage parodique, à suivre au dixième degré, plus proche de l'esprit de Darkstar que de The Thing. Pourtant cette oeuvre sous-estimée est visuellement délirante. Quant à Kurt Russel dans le rôle de l'anti-héros maladroit qui arrive toujours à la fin de l'action, il fait merveille. Ce film réjouissant mériterait bien une seconde chance. En tout cas, c'est un échec cuisant pour le réalisateur. Et comme il ne veut plus faire de concessions à Hollywood, il revient donc à la série B, avec PRINCE DES TÉNÈBRES (1987).


A cette époque, tous les films d'horreur mettent de l'eau dans le vin, en mêlant humour et terreur. John Carpenter, lui, persiste et signe un film flippant qui retourne aux sources du fantastique, sans parasiter l'intrigue par un humour de potache. II raconte l'expérience terrible vécue par un groupe de scientifiques et d'étudiants dans une église de Los Angeles. Réunis par un prêtre joué par Donald Pleasance, ils tentent d'élucider le mystère d'un étrange sarcophage de verre qui contient un liquide fluorescent qui se révélera être l'essence même du Mal. Prince des Ténèbres est un huis-clos oppressant. Avec des bouts de ficelle, une horde impressionnante de clochards-zombies menée par Alice Cooper et des effets spéciaux simples, John Carpenter montre qu'il n'a pas perdu la main en réalisant un film particulièrement abouti qui met métaphysique et religion au premier plan. Une thématique encore fortement présente dans L'Antre de la Folie.


John Carpenter est alors l'un des seuls maîtres du genre (avec Wes Craven) à rester fidèle à son univers. Le seul à affirmer encore qu' "Ils" sont là. "Ils", ce sont les extra-terrestres de THEY LIVE (Invasion Los Angeles), tourné l'année suivante. Un SDF trouve des lunettes spéciales qui lui révèlent une réalité parallèle plutôt inattendue. Des extra-terrestres monstrueux se sont mélangés aux humains. Ils dirigent les postes "clés" au gouvernement et ailleurs, exploitent les humains et endorment leurs consciences à l'aide de messages subliminaux. Derrière la fable - parfois parodique - et le film d'action se cache surtout un manifeste social et politique, une claque au gouvernement Reaganien, un pamphlet subversif qui dénonce l'illusion du progrès et les mensonges de la classe dominante. Et il ne reste plus au héros de bidonville qu'à tirer dans le tas pour nettoyer tout ça.


Pourtant Carpenter s'assagit ensuite avec son anecdotique Les Aventures d'un Homme Invisible (1992), un retour au gros budget qui ne lui réussit pas. Les effets spéciaux d'ILM (la boîte de Lucas) sont certes époustouflants mais le comique Chevy Chase, qui joue le rôle titre, détone dans l'univers du cinéaste. Chase, par ailleurs aussi producteur du film, a transformé l'expérience en véritable cauchemar pour le réalisateur qui devant tant de pressions accumulées a failli renoncer à faire du cinéma. II lui a fallu trois ans pour s'en remettre.


Enfin en 1994, il signe L'ANTRE DE LA FOLIE (sorti en France en février dernier). Sam Neill campe un détective très cartésien, chargé de retrouver Sutter Cane, le maître absolu du roman d'épouvante. Sa mission le mène à Hobb's End, une petite ville qui n'est mentionnée nulle part sur les cartes. Normal, il s'agit de la ville fictive dans laquelle se déroulent les intrigues des livres de l'écrivain disparu! Bientôt l'enquêteur découvre que les sujets des livres de Cane lui sont dictés par des extra-terrestres. Sous l'emprise de son prochain roman, les lecteurs fanatisés vont bientôt tous devenir des meurtriers en puissance, des déments violents. Incrédule, le détective commence un voyage éprouvant qui le conduit peu à peu vers la folie. John Carpenter brouille les cartes et manipule avec maestria ses personnages et le spectateur. Son film vertigineux et plein d'humour noir fonctionne comme les poupées russes. Réalité, fiction et rêve cauchemardesque s'emboîtent sans fin les uns dans les autres. Du coup, le spectateur perd ses repères. Et si la réalité n'était qu'une illusion ? Et si le libre-arbitre n'existait vraiment pas ? Le cinéaste nous offre aussi une réflexion sur son métier, sur le cinéma d'horreur et ses fans, se moquant ouvertement des clichés qui décrivent les spectateurs et les réalisateurs de ce genre de films comme des crétins dégénérés et dangereux.

Le 16 août sort sur les écrans son dernier film, LE VILLAGE DES DAMNES, avec Christopher Reeve, Kirstie Alley, Linda Kozlowski, Mark Hamill et Michael Paré. Des enfants aux pouvoirs mystérieux bouleversent la vie d'une petite bourgade de Province. Ils ont tous été conçus le même jour; le jour où une force invisible a plongé tout le village dans un profond sommeil, déclenchant des grossesses chez dix femmes. Bientôt, les morts accidentelles se multiplient et les habitants doivent se rendre à l'évidence : "leurs" enfants ne sont pas humains. Le Village des Damnés risque de décevoir les fans de John Carpenter. L'originalité et le rythme, propres aux précédentes œuvres du maître, sont absents de ce remake pour une fois peu inspiré et plutôt répétitif. Même si le film entend dénoncer la perte des valeurs morales d'une certaine jeunesse actuelle, celle qui ne parvient plus à faire la différence entre le bien et le mal, il faut avouer que John Carpenter n'a pas exploré toutes les pistes que lui offrait un tel sujet. S'il n'y avait pas eu récemment L'Antre de la Folie, on pourrait se poser des questions. Mais il ne s'agit vraisemblablement que d'une petite baisse de forme passagère, sur un film qui ressemble fort à un commande. Ce qui ne saurait entamer notre foi en ce cinéaste du troisième type.

Aventures délirantes, films métaphysiques de terreur pure, comédie et road-movie sentimental, films d'action engagés, ou westerns urbains, John Carpenter a donc décliné le fantastique sous toutes ces formes, en y mélangeant tous les genres. Touche à tout, véritable homme-orchestre, il a imposé un style visuel nouveau, un label de qualité dans la série B, tout en réussissant à transformer - à une rare exception près - les essais des films à gros budget qui lui ont été confiés. II a su renouveler complètement un genre en perdition. En évitant les effet faciles et, avant tout, en s'appuyant sur une véritable structure narrative, avec progression dramatique et personnages variés. Ses héros, ses histoires, les lieux où il les situe, tranchent avec les productions classiques. Et témoignent de son inventivité. Revue par lui, chaque recette du genre redevient originale. Car le cinéaste a apporté un regard personnel et novateur. II a toujours la petite idée en plus, qui fait la différence. Ainsi, en l'espace de 14 films (plus trois téléfilms, trois productions et six scénarios adaptés par d'autres), il prouve qu'il a bel et bien mérité qu'on le reconnaisse comme un auteur à part entière. Maintenant, on aimerait aussi le retrouver au générique d'un Western, un vrai. Comme Impitoyable (le film de Clint Eastwood) qu'il admire. Car au départ, John Carpenter est bien devenu réalisateur pour faire des westerns. Seulement le genre, à l'époque de ses débuts, était passé de mode. Aujourd'hui, c'est toujours son rêve. II en meurt d'envie. Et, finalement, on est tout aussi impatient que lui .

(c) juillet 96

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